Contexte du projet

Le département de la Marne, à dominante agricole, subit une pression croissante sur ses ressources en eau. La baisse des précipitations, accentuée par le changement climatique, fragilise les rivières et cours d’eau (Agence de l’eau Seine-Normandie, 2023). Les sols calcaires, très poreux, accélèrent notamment le drainage et contribuent à l’assèchement des milieux aquatiques (BRGM, 2025).

En 2025, une sécheresse précoce et sévère a frappé le territoire. Avec près de 18 000 exploitations agricoles, la pression hydrique a été particulièrement forte. Le recalibrage de nombreux linéaires de cours d’eau a réduit leur résilience face aux périodes sèches.

Afin de répondre à ces enjeux, la Fédération Départementale de la Marne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique (FDAAPPMA 51) a mené en 2025 plusieurs suivis scientifiques et écologiques.

Les pêches d’inventaires réalisées ont révélé une abondance souvent faible par espèce, ce qui témoigne des pressions cumulées sur des habitats naturels fragilisés.

Parallèlement, des suivis hydrologiques et des actions de restauration ont été conduits pour mieux connaître et gérer les milieux aquatiques.

Parmi ces initiatives, la FDAAPPMA 51 a lancé un projet de suivi des écoulements d’étiage à l’échelle du département.

L’objectif : comprendre les dynamiques des cours d’eau et identifier les tronçons les plus sensibles durant les périodes de faible débit.

Ce suivi visait à fournir des données précises sur l’intensité des assecs, à sensibiliser le grand public sur la raréfaction de la ressource en eau et à guider les décisions des gestionnaires pour assurer une gestion durable de l’eau dans un département soumis chaque année à de fortes tensions hydriques.

Localisation des cours d’eau

Le dispositif de suivi mis en place a été réalisé selon le protocole de l’Observatoire National des Débits d’Etiage (ONDE).

Il a couvert 21 cours d’eau du département de la Marne et impliquait trois instances locales, chacune responsable de la mise en œuvre du protocole :

FDAAPPMA 51 : Vesle, Coole, Puits, Somme, Superbe.

Communauté de communes de la région de Suippe (CCRS) : Suippe, Py, Tourbe, Ain, Noblette.

Office français de la biodiversité (OFB) : Noue Robert, Auve, Pinsoie, Ante, Maurienne, Linthelles, Biard, Rû du Salon, Pelle, Somme amont, Soude.

Protocole de l’étude

Le suivi des linéaires d’écoulement mené par la Fédération de pêche de la Marne a été réalisé tous les 15 jours (± 3 jours) entre le 15 juin et le 1ᵉʳ octobre 2025. En parallèle, l’OFB et la Communauté de communes de la région de Suippe ont mené leurs observations une fois par mois, autour du 23 (± 3 jours). Conformément aux modalités du protocole ONDE, l’ensemble des linéaires de cours d’eau a été évalué sur des points stratégiques préalablement définis.

Au total, 340 km de cours d’eau ont été intégrés à ce programme, représentant 1 490 km parcourus au fil des différentes campagnes de terrain. Les premières stations de chaque cours d’eau étaient situées à 1 km de leur source, puis le suivi se poursuivait sur au moins 5 km en aval, jusqu’à retrouver un écoulement visible. La longueur finalement observée variait ainsi selon les sessions.

Chaque campagne débutait par le relevé des paramètres physico-chimiques sur la station amont. Si ce point se trouvait en assec, les mesures étaient alors réalisées sur le premier site en eau rencontré.

Le matériel de mesure utilisé comprenait :

Sonde HI98129-HI98130 : température (°C) et conductivité (μS)

Pige : profondeur (cm)

Télémètre laser GLM 150-27 C : largeur (m)

Courantomètre FLUVIA RC3 19-242 : débit (m³/s)

Les données recueillies ont ensuite été traitées sous QGIS pour la production de cartographies, et sous Excel pour l’élaboration de graphiques.

Une analyse spécifique a porté sur deux cours d’eau témoins non soumis à l’irrigation, comparés à l’ensemble des autres cours d’eau du territoire. La Pinsoie présentait un cours principal reliant Bussy-le-Repos à Possesse, alimenté par de nombreux petits affluents issus de sources variées. L’Auve, quant à elle, se composait d’un unique cours principal, offrant un profil plus linéaire et homogène.

L’analyse des résultats a permis de classer les tronçons de cours d’eau en quatre catégories :

🔵 Écoulement visible acceptable : débit continu, assurant un bon fonctionnement biologique restreint au lit mineur.

🟡 Écoulement visible faible : courant perceptible, mais débit insuffisant pour assurer un fonctionnement écologique adéquat.

🟠 Écoulement non visible : présence d’eau dans le lit mineur, mais sans courant ; l’écoulement se limite parfois à des flaques.

🔴 Assec : lit mineur totalement sec sur plus de 50 % du tronçon.

Organisation des campagnes de suivi

Comme indiqué précédemment, la Fédération de la Marne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique a réalisé des suivis tous les 15 jours (± 3 jours) sur cinq cours d’eau : la Vesle, la Coole, le Puits, la Somme et la Superbe.

En complément, l’OFB et la CCRS ont assuré un suivi mensuel, autour du 23 (± 3 jours), sur neuf autres cours d’eau, en appui au réseau ONDE.

Les cours d’eau suivis étaient les suivants :

  • Pour l’OFB : l’Ante, l’Auve, la Noue Robert (le Flançon) et le Pinsoie ;
  • Pour la CCRS : l’Ain, la Noblette, la Py, la Suippe et la Tourbe.

L’ensemble de ces observations s’est déroulé du 15 juin au 1ᵉʳ octobre 2025.

À partir du mois d’août 2025, 11 cours d’eau ont été ajoutés au réseau de suivi des linéaires d’écoulement de l’OFB :

– le Biard
– le Canal de la Noue de Barbara
– le Fossé 01 du cul de la Noue
– le Linthelles
– la Maurienne
le Petit Canal
– le ruisseau de la Pelle
– la Soude
– le
Rû du Salon et ses affluents (ruisseau de Couchis, ruisseau des Roises)

Pour simplifier la représentation à l’échelle départementale, plusieurs de ces cours d’eau ont été regroupés sous un nom unique : le Rû du Salon, incluant le Canal de la Noue de Barbara, le ruisseau de Couchis, le ruisseau des Roises, le Fossé 01 du cul de la Noue et le Petit Canal.

Résultats

À l’échelle du département, les prélèvements liés à l’irrigation s’étendaient du nord au sud, laissant apparaître deux zones d’absence marquées à l’ouest et à l’est. Les cours d’eau suivis par la Fédération de pêche de la Marne — la Vesle, la Coole, le Puits, la Somme et la Superbe — situés au centre et au sud, ont été intégrés au programme de suivi, car ils traversaient les secteurs sur lesquels les captages étaient les plus nombreux et les plus importants. Leur longueur et les nombreux épisodes d’assec observés ces dernières années par le dispositif ONDE ont également motivé leur sélection.

DÉBUT DU SUIVI

Dès les premières observations, la Superbe est apparue comme l’un des cours d’eau les plus vulnérables à l’aléa sécheresse : avec 40 captages en amont, contre 5 en moyenne ailleurs, elle se retrouvait presque entièrement asséchée. Sur les 191,22 km de cours d’eau observés, 168,55 km (88%) présentaient encore un écoulement visible, qu’il soit acceptable ou faible, tandis que 22,66 km (12%) correspondaient à des tronçons non visibles ou complètement en assec.

La majorité des cours d’eau conservaient donc un écoulement acceptable, mais les premiers signes critiques se manifestaient déjà.

Les premiers tronçons d’assec ont été relevés sur :

🔴 3,95 km de la Vesle (17 %)

🔴 5,02 km de la Superbe (85 %)

🔴 3,55 km de la Noblette (43 %)

🔴 2,09 km du Pinsoie (20 %)

🔴 1,40 km de l’Ante (13 %)

© FDAAPPMA 51

Photographie prise le 18/07/2025 à 4 km de la source de l’Auve

© FDAAPPMA 51

Photographie prise le 01/10/2025 à 5 km de la source de la Superbe

MILIEU DU SUIVI

Au milieu de l’étude, il a été observé une nette diminution des tronçons présentant un écoulement acceptable, tandis que les faibles débits tendaient à s’homogénéiser, comme c’était le cas pour la Somme100 % du linéaire relevait désormais de cette catégorie.

Une hausse significative des assecs apparaissait également sur plusieurs cours d’eau :

🔴 16,10 km de la Vesle (57 %)

🔴 6 km de l’Ain (73 %)

🔴 14,15 km de la Noue Robert (90 %)

Les cours d’eau récemment ajoutés au suivi par l’OFB — la Maurienne, le Linthelles, le Biard, le Rû du Salon, la Pelle, la Somme amont et la Soude — se retrouvaient quant à eux entièrement en assec, indiquant une pression hydrique critique.

À l’inverse, certains cours d’eau comme le Puits, la Suippe, la Tourbe et l’Auve présentaient encore des tronçons avec un écoulement acceptable.

Au total, sur l’ensemble des 284,23 km de linéaires observés, 115,76 km (41 %) présentaient encore un écoulement visible (acceptable ou faible), tandis que 168,46 km (59 %) correspondaient à des tronçons non visibles ou totalement en assec.

© FDAAPPMA 51

Photographie prise le 01/10/2025 à 1 km de la source de la Vesle

© FDAAPPMA 51

Photographie d’une truite fario morte à cause d’un assec, prise le 14/06/2025 à 17 km de la source de la Vesle

FIN DU SUIVI

À la fin du suivi, la majorité des cours d’eau présentaient désormais des tronçons en assec, tandis que les écoulements acceptables ne subsistaient plus que sur 9 des 14 cours d’eau suivis. L’Ain était totalement asséché. L’Ante et le Pinsoie montraient en revanche une certaine résilience, avec un retour progressif vers un écoulement acceptable.

Sur 175,18 km de cours d’eau observés, 98,08 km (56 %) présentaient encore des écoulements visibles (acceptables ou faibles), tandis que 77,08 km (44%) correspondaient à des linéaires non visibles ou en assec.

Au début de l’été, l’Auve conservait globalement des écoulements acceptables. Cependant, au fil de la saison, des secteurs à faible débit apparaissaient en amont et progressaient vers l’aval, jusqu’à former la majorité du linéaire observé à la fin du suivi. L’amont se retrouvait alors complètement en assec.

Sur le bassin versant voisin, la Vesle, fortement soumise aux captages, présentait un assec marqué atteignant 71 % de son linéaire, soit 20,17 km, tandis que l’Auve n’enregistrait que 17 %, soit 975 m.

Le Pinsoie, de son côté, commençait la saison dans de bonnes conditions hydrologiques, avant de se dégrader en milieu d’été : ses petits affluents, très défrichés, passaient rapidement en assec, accentués par l’exposition au soleil. Le cours principal ne maintenait alors qu’un faible écoulement. En fin de saison, ce dernier retrouvait toutefois un écoulement acceptable, contrairement à 26 % de ses affluents (2,86 km) qui restaient asséchés.

© FDAAPPMA 51

Photographie prise le 16/08/2025 à 1km de la source du Puits

© FDAAPPMA 51

Photographie prise le 17/06/2025 à 1,5km de la source de la Somme

LES STATIONS HYDROLOGIQUES

Les stations hydrologiques installées sur les cours d’eau ont permis de suivre l’évolution de leurs débits. Entre 2023 et 2025, une forte dégradation des débits a été observée sur la Coole. En 2023, les débits sont passés sous les seuils d’alerte durant l’été. En 2024, ils se sont maintenus tout juste au-dessus des seuils réglementaires. En 2025, la situation s’est nettement aggravée. La baisse du débit, amorcée dès avril, a conduit à franchir le seuil de crise en juin. Les débits sont ensuite restés quasi nuls jusqu’en septembre.

Interprétation des résultats

En 2025, la situation hydrologique du bassin étudié s’est révélée particulièrement critique, comme l’indiquaient également les observations du réseau ONDE. L’effondrement précoce et durable des débits de la Coole, franchissant le seuil de crise dès le début de l’été, illustre la pression croissante exercée sur les ressources en eau durant cette période.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que de nombreux seuils réglementaires restaient mal définis, certains cours d’eau — comme l’Auve et le Pinsoie — n’en disposant même pas, compliquant leur suivi et l’évaluation de leur état hydrologique. Bien que l’étiage soit un phénomène naturel en période estivale, provoquant ponctuellement des assecs, la prolongation anormale de ces épisodes sur plusieurs linéaires suivis, en lien avec l’irrigation, a fortement dégradé la qualité de ces milieux. Sur ces secteurs, la remise en eau s’est notamment révélée nettement plus lente.

Ces perturbations ont également modifié les peuplements aquatiques : les assecs ont freiné la recolonisation piscicole, tandis que le réchauffement de l’eau a favorisé le peuplement des espèces généralistes plus tolérantes, au détriment des espèces d’eaux vives (OFB, 2023). À l’inverse, les cours d’eau non soumis aux captages ont montré une résilience plus rapide.

Soumis à un même type de substrat et à des conditions météorologiques similaires, les cours d’eau du bassin n’ont pas été égaux face à la sécheresse. Leur vulnérabilité et leur résilience ont été essentiellement influencés par la pression des captages. Ainsi, l’Auve et le Pinsoie, non soumis à l’irrigation, ont conservé une meilleure capacité de récupération malgré les assecs estivaux habituels observés à l’échelle du territoire.

Conclusion

Les suivis des linéaires d’écoulement dans la Marne ont révélé une aggravation marquée des situations d’assec au cours de l’été 2025, montrant la vulnérabilité croissante des milieux aquatiques face au déficit hydrique et aux pressions humaines. Pourtant, certains cours d’eau ont retrouvé un certain débit en fin de saison, illustrant la diversité des réponses locales aux étiages.

Il est donc essentiel de poursuivre et d’élargir ce suivi, tant au niveau spatial que temporel, pour mieux comprendre les facteurs de résilience des cours d’eau, anticiper les situations critiques grâce à l’analyse des seuils réglementaires et adapter les stratégies de gestion locales. L’étude de la durée des étiages est également pertinente pour évaluer leur gravité, la résilience des cours d’eau dépendant du temps nécessaire à leur remise en eau après assèchement, un temps qui varie notamment en fonction de leur exposition à l’irrigation, facteur qui prolonge ces périodes de faible débit.