
Contexte du projet
Une rivière normande au patrimoine écologique remarquable
Affluent de l’Arques, l’Eaulne est une rivière côtière normande qui s’écoule sur plus de 45 kilomètres dans le département de la Seine-Maritime, au cœur de la région historique du pays de Bray, avant de rejoindre la Manche.
Classée en première catégorie piscicole, l’Eaulne est inscrite sur les Listes 1 et 2 au titre de l’article L214-17 du Code de l’environnement, en raison de son fort enjeu piscicole et écologique. Elle constitue en effet un habitat privilégié pour les salmonidés d’intérêt patrimonial, tels que la truite fario, la truite de mer et le saumon atlantique, mais aussi pour de nombreuses espèces migratrices comme l’anguille européenne, la lamproie marine ou encore la lamproie fluviatile.
Conformément à la réglementation en vigueur, « tout ouvrage présent sur le cours d’eau doit y être géré, entretenu et équipé afin d’assurer la libre circulation des poissons migrateurs et des sédiments ». La préservation et la restauration de la continuité écologique de l’Eaulne apparaissent ainsi comme des enjeux majeurs pour protéger la biodiversité et restaurer l’équilibre des écosystèmes aquatiques.
Un obstacle à la migration des poissons
Situé à proximité du hameau d’Angreville, à plus de 2 km en aval du bourg de Douvrend, le moulin de la Mouche était établi au niveau d’une ancienne pisciculture. Son ouvrage hydraulique alimente une série de plans d’eau utilisés pour la pêche de loisir, un vivier et fait partie intégrante d’un « parc paysager et animalier ».
Composé de deux systèmes de vannage et d’un seuil, l’ouvrage présentait une hauteur de chute d’environ 2 mètres pour un débit moyen d’environ 2 mètres cubes/seconde. Sur ce secteur, l’Eaulne formait un « bief perché » de 6 à 8 mètres de large, canalisant les eaux vers les installations de l’ancien moulin.
Les caractéristiques physiques de l’ouvrage rendaient sa franchissabilité difficile pour les espèces migratrices, compromettant ainsi l’accès aux nombreuses frayères réparties sur plus de 30 kilomètres de linéaire de cours d’eau, soit 56 % de la surface potentielle de production piscicole sur l’Eaulne. Ce barrage constituait donc un véritable obstacle à la libre circulation des poissons migrateurs et des sédiments.
Face à ce constat, la règlementation a ainsi permis d’engager la suppression de l’influence du barrage sur le milieu naturel, en application des prescriptions du Plan Départemental pour la Protection du milieu aquatique et la Gestion des ressources piscicoles (PDPG) ainsi que du Document d’Objectif du site Natura 2000.
Dans ce cadre, la Fédération de la Seine-Maritime pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique a ainsi lancé, en 2015, un ambitieux projet de restauration de la continuité écologique de l’Eaulne sur ce site.
Ce projet, en partenariat avec le Syndicat du Bassin Versant de l’Arques a notamment consisté à rétablir le cours d’eau dans son lit d’origine, afin de retrouver une dynamique plus naturelle, de restaurer la connectivité écologique et de faciliter la libre circulation des espèces migratrices.

Ouvrage hydraulique du moulin de la Mouche avant les travaux

Bief perché avant les travaux
Objectifs du projet
Le projet de restauration mené par la Fédération de la Seine-Maritime pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique poursuivait plusieurs objectifs complémentaires :
➤ Supprimer l’impact du barrage en déplaçant le cours d’eau dans son lit d’origine
➤ Maintenir l’activité économique existante au droit de l’ouvrage
➤ Pérenniser l’alimentation des zones humides, mêmes perchées (comme les étangs)
➤ Améliorer les conditions d’exploitation des prairies permanentes
➤ Conserver l’activité cynégétique (gestion de la faune sauvage) sur le site
➤ Réduire le risque d’inondation des pâtures lors des crues hivernales, causées par les débordements fréquents du bief (6 mois dans l’année)
Descriptif des travaux réalisés
Les travaux de restauration ont débuté en juillet 2015, à l’issue d’une phase d’étude approfondie.
Plusieurs scénarios ont été dressés et analysés afin de répondre au mieux aux enjeux environnementaux tout en intégrant les besoins des différents usagers du site.
Le projet final de restauration s’est articulé autour de plusieurs axes forts :
➤ La réutilisation de l’ancien bras de l’Eaulne, en tant que cours d’eau principal
➤ La renaturation du bras aval existant, dans la continuité du nouveau tracé, avec la création d’un lit à dynamique naturelle favorisant le décolmatage
➤ Le maintien des conditions d’alimentation de la zone humide en amont
➤ La conservation du « bief perché » existant, pour alimenter durablement le vivier et les étangs
➤ L’aménagement de la zone de défluence en amont, entre le nouveau bras et le bief, afin de prioriser l’alimentation du nouveau lit tout en garantissant un débit minimal suffisant au fonctionnement de l’établissement existant
Pour assurer une gestion équilibrée des écoulements et de garantir la réussite écologique du projet, plusieurs interventions techniques ont été réalisées sur le site.


1) 🔁🌊 Remise du bras du cours d’eau dans son lit d’origine
◆ Création d’un bras de contournement provisoire sur une dizaine de mètres linéaires, ayant permis de mettre à sec la zone de travaux, tout en maintenant la continuité écologique durant l’intervention
◆Installation d’un seuil de répartition à l’aide de blocs finement appareillés et non liaisonnés
2) 🔧 Aménagement du bras
◆ Reprofilage du cours d’eau en rive gauche, permettant d’accompagner efficacement la nouvelle répartition des débits
◆ Remblaiement partiel d’un étang situé au nord-ouest, réalisé avec les matériaux issus de déblais
◆Démantèlement d’une canalisation sous-fluviale non conforme


3) ⚙️ Réaménagement des vannages de l’ouvrage principal
◆Fermeture définitive de l’ouvrage principal, tout en conservant la possibilité de manœuvre en cas de crue exceptionnelle, afin d’assurer la sécurité hydraulique
◆ Création d’un nouveau vivier en amont de l’ouvrage de décharge
◆ Réhabilitation de l’ouvrage d’alimentation et mise en place d’un nouveau système de vannage en aval, pour une meilleure régulation des écoulements
◆ Retalutage de la rive droite du canal d’alimentation, avec plantation de fascines d’hélophytes, visant à limiter les fuites vers les pâtures en amont et à renforcer la stabilité des berges
Les travaux se sont terminés en juillet 2016.
Résultats illustrés en images

Seuil avant le début des travaux

Bief avant le début des travaux

Terrassement du nouveau lit

Réalisation du seuil de répartition

Nouveau bras de rivière restauré après les travaux

Seuil de répartition après les travaux
Suivi scientifique post-travaux
Afin d’évaluer l’efficacité de l’action de restauration sur le milieu aquatique et la biodiversité, la Fédération de la Seine-Maritime pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique a réalisé une pêche de suivi scientifique à l’électricité le 31 août 2020.
Le protocole de suivi a été mené sur un linéaire de 120 mètres, couvrant une surface de 1 080 m².
Au total, 571 individus ont été capturés et identifiés, appartenant à 7 espèces de poissons :
- 78 anguilles européennes (Anguilla anguilla)
- 415 chabots (Cottus gobio)
- 2 épinoches (Gasterosteus aculeatus)
- 1 gardon (Rutilus rutilus)
- 7 lamproies (Ammocètes)
- 53 truites fario (Salmo trutta fario)
- 29 vairons (Phoxinus phoxinus)
Soit une biomasse total de 1 415 g/100m².


Des espèces indicatrices bien présentes !

L’analyse de la richesse spécifique a mis en évidence une bonne diversité d’espèces piscicoles, incluant à la fois des espèces rhéophiles (chabot, truite, lamproie) et des espèces ubiquistes (gardon, épinoche).
La présence simultanée d’espèces indicatrices de bon état écologique, notamment la truite fario et l’anguille européenne, cette dernière étant classée en danger critique d’extinction à l’échelle mondiale, témoigne d’une amélioration des conditions de vie du milieu, désormais plus favorable au développement d’une faune piscicole diversifiée et patrimoniale.
Des résultats excellents !

Les résultats de l’Indice Poisson Rivière (IPR) montrent une excellente qualité écologique du peuplement piscicole.
Avec une note de 4,657, le site atteint la meilleure classe de qualité (classe 1) : un indicateur clair de bonne santé écologique du cours d’eau.
🔍 CE QUE NOUS DISENT LES ESPECES PRESENTES
✔️ Espèces lithophiles → Leur présence (score de 0,213) signale un fond de rivière adapté à la reproduction sur les graviers, preuve d’un bon fonctionnement physique du lit.
✔️ Richesse spécifique → Avec un score de 0,749, la diversité d’espèces présentes sur le site est satisfaisante, un bon signe de l’équilibre des écosystèmes.
📈 ABONDANCE ET EQUILIBRE DU PEUPLEMENT
✔️ Peu d’espèces tolérantes (score : 0,076) → Ces poissons sont souvent présents dans des milieux dégradés. Ici, leur faible nombre confirme un bon état de la qualité de l’eau.
✔️ Espèces omnivores (0,392) → La présence modérée de ces espèces témoigne d’un bon équilibre dans les maillons de la chaîne alimentaire dans la rivière.
✔️ Espèces invertivores (0,275) → Ces espèces se nourrissent d’invertébrés aquatiques sensibles à la qualité de l’eau. Leur présence est un excellent indicateur écologique !
✔️ Densité totale (1,1) → Une bonne occupation du milieu par les poissons, preuve d’un environnement aquatique accueillant.
Conclusion
Tous ces résultats montrent que les travaux menés par la Fédération de la Seine-Maritime pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique sur ce site ont vraiment porté leurs fruits !
La restauration de la continuité écologique et de la qualité des habitats naturels favorisent désormais le cycle de vie des espèces piscicoles patrimoniales, contribuant ainsi à la préservation de la biodiversité aquatique.


La continuité écologique de l’Eaulne est enfin restaurée !
Le coût total du projet s’élève à 503 958,90 € TTC, dont 64 446,50 € TTC pour la maîtrise d’œuvre et 439 512,40 € TTC pour les travaux. Il a été financé à 100 % par l’Agence de l’Eau Seine Normandie.