Le brochet est une espèce bioindicatrice, c’est-à-dire que sa présence ou son absence est un indicateur de l’état du milieu. Le succès de sa reproduction repose sur la présence de zones humides fonctionnelles ; à savoir connectées à la rivière, avec un substrat de ponte adapté ainsi qu’un ennoiement suffisant pour la survie des œufs et alevins de l’espèce. En effet lors de la période de reproduction, les géniteurs (brochets sexuellement matures) initient des migrations longitudinales et latérales dans le but d’accéder à ces zones annexes au cours d’eau. Sa place dominante dans le réseau trophique milieu aquatique, confère au brochet d’être une espèce parapluie ; ses exigences englobent celles d’autres espèces. En d’autres termes, toute action bénéfique au brochet le sera également pour un cortège d’espèces et donc pour le milieu.

Ainsi l’anthropisation de nos rivières et milieux humides impacte directement les populations de brochets. Comprendre cette espèce, ses exigences en milieu naturel est une des clés pour la reconquête de la qualité de nos rivières ! L’expertise des Structures Associatives Agréées de Pêche de Loisir permet d’apporter des éléments de connaissance dans le but de proposer des mesures de gestion pour rétablir l’équilibre entre l’Homme et le milieu aquatique.

En 2019, l’UFBSN a lancé une étude radiopistage sur les brochets de la Seine en Seine-et-Marne. Le suivi a été réalisé par la Fédération de Seine-et-Marne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique de septembre 2019 à juin 2020. Suivre le déplacement des brochet a permis de :

  • Evaluer la fonctionnalité des frayères présentes sur la zone d’étude.
  • Evaluer les impacts de l’activité anthropique sur la continuité écologique ainsi que sur les habitats piscicoles.
  • Proposer des mesures de gestion.

Les principaux résultats

Les brochets concernés par l’étude ont été capturés dans la zone d’étude (de Villiers-sur-Seine à Bray-sur-Seine, en Seine-et-Marne) dans la Seine par pêche électrique.

17 brochets sur les 24 marqués ont été détectés. En moyenne, les brochets de la Seine parcourent 12 km. Il semblerait que l’âge, la taille ainsi que le sexe des brochets n’influencent pas significativement la distance parcourue.

En revanche, d’après les résultats, les migrations seraient enclenchées lorsque le débit de la Seine dépasse les 50m³/s avec une température comprise entre 6°C et 10°C.

12 km
66 km, la plus grande distance !

Les barrages-écluses du Vezoult et de Jaulnes sont présents sur la zone d’étude et ont été équipés de postes fixes. Ainsi, lorsqu’un brochet marqué passe dans un sens ou dans un autre, il est automatiquement pointé par l’antenne.

D’après les résultats, 5 brochets marqués seraient passés.

Comment ? Probablement lorsque les barrages étaient à plat, c’est-à-dire quand le niveau d’eau est suffisant pour passer au dessus. En effet, à 100m³/s ces ouvrages ne sont plus des obstacles à la continuité longitudinale des poissons. Il est également possible que les individus marqués aient profité des crues de la Seine pour emprunter les annexes alluviales, contournant ainsi les ouvrages.

Le barrage de Jaulnes est équipé d’une passe à poisson, elle-même équipée d’un poste fixe. Les résultats sont sans appel… Aucun brochet marqué n’a emprunté la passe qui ne semble donc pas être fonctionnelle pour l’espèce brochet.

Barrage du Vezoult, ©UFBSN

D’après les résultats, la qualité des habitats piscicoles est un paramètre influençant le déplacement des poissons. En effet, sur la zone d’étude étaient présents :

  • Un secteur fortement impacté par l’activité humaine ou anthropisé. Ayant subit des travaux de rectification, de recalibrage pour permettre la navigation, cette zone offre peu d’habitats pour la faune aquatique (peu de diversité de vitesse d’écoulement, de substrat,…). Le manque d’attractivité du bief de Jaulnes encouragerait les brochets présents sur le secteur à se déplacer davantage.
  • Un secteur moins impacté par l’Homme où les brochets présents auraient besoin de moins se déplacer pour trouver une zone favorable à l’accomplissement de leur cycle biologique.

Résultats de la bathymétrie avec le type de faciès, les isobathes et les vitesses de courant.

Carte de gauche, partie amont de la zone d’étude, carte de droite, partie aval présentant des habitats relativement homogènes. Tirés de GRIMAUD M (2020) Étude du brochet (Esox lucius) et de ses frayères sur la Seine.

L’impact de l’Homme sur les populations de brochet est ici directement mis en évidence. Les brochets présents sur les zones largement anthropisées doivent se déplacer davantage pour accomplir leur cycle biologique. La zone d’étude est directement concernée par le projet de mise à grand gabarit de la Seine.

L’étude a également permis d’évaluer l’efficacité des travaux de restauration réalisés sur 2 frayères (Villiers et Jaulnes). En bref, depuis les travaux de restauration réalisés par la FDAAPPMA77 en 2017, la diversité piscicole s’est nettement améliorée pour les 2 sites.

La frayère de Jaulnes est gérée par un système de vannage. Les résultats ont permis de démontrer que la gestion du niveau d’eau à l’intérieur de la frayère n’était pas en adéquation avec les exigences écologiques du brochet de part la durée d’ennoiement de la frayère notamment. Il faut bien comprendre que lorsque le niveau d’eau de la frayère descend trop tôt ou trop vite cela affecte l’efficacité de reproduction de l’espèce.

D’après les résultats, les 2 frayères sont fonctionnelles lorsque :

  • Le débit de la Seine est supérieur à 100 m³/s.
  • La hauteur d’eau au sein des frayères est supérieure à 20 cm.
  • La température de l’eau est supérieure à 6°C.
  • L’ensemble de ces paramètres est stable pendant à minima 40 jours, respectant ainsi le développement des œufs et alevins de brochet.

Hauteur d’eau et température de l’eau pour la frayère de Villiers, d’après GRIMAUD M (2020) Étude du brochet (Esox lucius) et de ses frayères sur la Seine.

L’anthropisation du milieu contraint les brochets à se déplacer davantage.

A 100 m³/s les barrages sont à plat et les frayères fonctionnelles.

Pour aller + loin

Des éléments de connaissance à prendre en compte pour le milieu

Le suivi des déplacements des brochets a notamment permis de proposer des mesures de gestion des frayères de part :

  • La mise en place de pâturage sur les frayères restaurées. Cette pratique permet en effet à moindre coût, de garder le milieu ouvert et donc favorable à l’accueil de la reproduction du brochet mais pas que… Ces espaces riches en biodiversité accueillent également amphibiens, oiseaux, flore, …
  • Le respect d’un calendrier de gestion du niveau d’eau concernant la frayère de Jaulnes. Pour rappel le niveau d’eau de cette frayère est géré par un système de vannage. Fermer/ouvrir les vannes en fonction du cycle de développement du brochet, c’est-à-dire :
    • Permettre l’entrée des géniteurs dans la frayère en laissant ouvertes les vannes jusqu’en février, voire davantage en fonction des conditions hydrologiques.
    •  Fermer les vannes de la frayère lorsque le débit de la Seine passe en dessous de 100 m³/s, soit aux alentours des mois de mars – avril. La frayère reste ainsi en eau au regard des besoins du développement des œufs puis des alevins de l’espèce brochet. A minima, la frayère doit rester en eau 40 jours consécutifs.
    • Ouvrir les vannes au début de l’été pour permettre aux brochetons de rejoindre le cours principal.

La temporalité du calendrier de gestion est à adapter au regard du changement climatique.

La zone d’étude directement concernée par un projet de non-sens écologique

La Fédération de Seine-et-Marne pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique a choisi cette zone d’étude car elle est directement concernée par un projet de mise à grand gabarit de la Seine. Ce projet qui fait débat devrait permettre la navigation de plus gros bateaux jusqu’à Nogent-sur-Seine. Il est de nouveau question d’élargir et de creuser le lit de la Seine sauvage sur presque 30 km dont la création de 10 km de canal. La rectification du lit mineur est pourtant une pratique aberrante que l’on pensait bannie en France depuis les années 90…

Les multiples retours d’expériences sur le sujet ont permis de mettre en évidence que ces travaux assèchent les zones humides, appauvrissent les habitats aquatiques et augmentent le risque inondation. Autant d’arguments repris par l’Autorité Environnementale qui a conclu en novembre 2020 : « le dossier ne permet pas d’apprécier l’utilité publique du projet faute d’éléments suffisants pour dresser le bilan entre ses gains et ses incidences négatives importantes pour l’environnement ». 

En bref…

Ce projet de plus de 340 millions d’euros est porté par Voies Navigables de France et vise à transporter plus dans des bateaux démesurés et non adaptés aux méandres de la Seine. La logique du toujours plus est-elle en adéquation avec l’urgence climatique ? D’autant plus qu’une ligne de chemin de fer existe sur ce secteur. Il existe donc au moins une alternative à l’assèchement de 81 ha de zones humides, au cloisonnement par biefs d’une Seine encore préservée et d’une manière générale au déséquilibre de l’écosystème aquatique.

Les Fédérations Départementales pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique œuvrent pour la reconquête de la qualité du milieu aquatique et réalisent notamment des actions de restauration hydromorphologiques. Le but ? Tenter de gommer les erreurs passées en renaturalisant le milieu, peine perdue si un projet tel que celui porté par VNF sur les plaines de la Bassée finit par voir le jour. Affaire à suivre donc …